62 Sept extra
63 Blaster
Les stagiaires (fantaisie caustique en neuf pièces)
64 Le syndrome du cas
65 Trois soifs
66 Le comptable parlait
67 Vide de savoir
68 Vagabondage
69 Les fines circulaires
70 Outrecuidant
71 Au fil de l’eau
72 Dans les bras de Morphée
73 La musique de l’impair
¤¤¤¤¤¤¤
Sept extra
Ils sont deux amis.
Leurs violons d’Ingres ? Elle peint. Il écrit.
¤¤¤
62
Sept extra
Ils sont nés un même jour, un 7 juillet. Ils se sont rencontrés sur les planches et ont joué ensemble, comédiens amateurs, plus de 40 représentations de « L’avare » de Molière... « Amant » et « maîtresse » à la scène. Elle, la belle Marianne, lui, Cléante, le fils révolté.
Ils avaient vingt ans. Ils ne se sont jamais perdus de vue. Leurs violons d’Ingres ? Elle peint. Il écrit.
En cette année 2007, ils se retrouvent avec leurs conjoints pour deux jours à visiter l’île d’Aix où la nature est reine... On s’y déplace à pied ou en calèche ! Le village fortifié, les musées, le prestigieux passé...
À la table de l’hôtel Napoléon, les bougies sont soufflées, les petits cadeaux échangés.
Jean délivre à son amie ce petit compliment...
07-07-07 !
C’est extraordinaire !
Elle a l’amour des peintres.
Lui, celui des poètes !
Et leurs muses les ont servis.
C’est extra !
Ors et cendres, rubis ou émeraudes,
Ciels et cyans, sangs et soufres
S’essaient, sur sa palette à d’autres tons mêlés,
À créer, à jaillir, à immortaliser
La passion d’un instant,
L’éclat d’un souvenir,
La fraîcheur d’un printemps,
L’image d’une vie !
C’est extra !
Vers libres,
Mots cadencés,
Rimes pauvres ou triomphantes,
Alexandrins pompeux,
Onomatopées sèches,
Cris et claques, paroles en horde, jeux de rôle !
Jeux de mots et maux enjoués
Quand la vie les habille…
Ils sont là.
Les mots l’habitent…
À moins qu’il s’y abrite !
Sept extra !
Lors, ces amis de quarante ans,
En ce jour si peu ordinaire,
Avec leurs conjoints solidaires,
Sont ci venus… en Aix-capade !
Et c’est presque en catimini
Que ces lignes dédiées
À gente Marianne
Un certain Cléante lui offrit !
Île d’Aix, 7 juillet 2007
¤¤¤¤¤¤¤
Blaster
Une immense panne d’électricité affecte
les États-Unis et le Canada.
¤¤¤
63
Blaster
Blaster est un ver informatique qui s’est répandu en août 2003 parmi les ordinateurs tournant avec des systèmes d’exploitation Windows. Il fut aperçu pour la première fois le 11 août, en Ontario (Canada). Sa vitesse de propagation augmenta exponentiellement jusqu’à atteindre un pic le 13 août aux États-Unis (Cleveland, Detroit, New York).
Le 29 août 2003, Jeffrey Lee Parson, un jeune homme de 18 ans, fut arrêté pour avoir créé la variante B du ver Blaster. Il plaida coupable et fut condamné à 18 mois de prison.
Onze août. Blaster est signalé.
Treize août. Blaster se répand sur la toile.
Le quatorze partout les Fenêtres (1) s’affolent,
L’Amérique est blessée au cœur de ses symboles !
Le Cerf, l’Ours noir et l’Orignal (2)
Unis, et ce n’est pas banal
Passent les Lacs ! Les Ontariens
À l’assaut des Américains !
Pourtant, le Trillium blanc (3) se fane,
Miroir, le Lac devient diaphane.
Et Cleveland bientôt s’éteint,
Detroit suit, New York est atteint !
Saura-t-on jamais si le ver,
Brochant lestement au revers
Du Grand pygargue à tête blanche (4)
Sa carte virale à deux branches, (5)
En fut l’unique prédateur ?
Peu importe qui fut l’auteur !
Un « Chapeau noir » (6) ? Un « Loup-cervier » (7) ?
En paralysant les leviers,
Il provoqua la débandade,
Étendit le mal en cascade
Et, enclenchant la Mégapanne,
Plongea Wall Street et Manhattan
Dans le stress et l’obscurité,
Le doute et l’insécurité !
Il saura, l’Oncle Sam, d’un grand coup d’espingole
Rendre à ses fils trahis leur rang au Capitole :
Seize août. Blaster voit pâlir son étoile.
Trente août. Blaster est terrassé.
14 août 2013
(1) Windows
(2) Les trois animaux ornant les armoiries de l’Ontario.
(3) Fleur emblématique de l’Ontario.
(4) Rapace des États-Unis, emblématique oiseau national.
(5) Blaster et sa variante.
(6) Hacker, informaticien malveillant.
(7) Lynx carnassier du Canada, nom donné aux spéculateurs.
¤¤¤¤¤¤¤
Les stagiaires
Fantaisie caustique en neuf pièces (64 à 72)
Sébastien a participé en qualité d’observateur à une formation
destinée à des futurs cadres de direction.
Il en livre sobrement (!) le compte rendu.
¤¤¤
64
Le syndrome du cas
Ce matin, Sébastien doit subir les affres affligeantes d’un tour de table au cours duquel chacun des stagiaires participants expose un cas, une situation particulière qu’il a dû affronter dans l’exercice de son métier. Il vous en livre le compte rendu !
¤¤¤
C’est un syndrome bien étrange
Un mal mystérieux qui démange :
Le malade paraît normal.
Pourtant, et ce n’est pas banal,
Il n’a vraiment qu’un seul tracas :
C’est d’exposer son petit cas.
¤¤¤
« Moi je, et personnellement
(que je sois damné si je mens)
Je vous dirai (et si j’en cause
C’est bien que je connais la chose),
Je vous dis, donc : il n’y a qu’à
Considérer mon propre cas ! »
Au lecteur de retrouver les références des facéties et autres turlupinades que Sébastien a introduites en chacun des quatrains qui suivent !
¤¤¤
Qui permet d’épancher le verbe
Et qui bien souvent, tout de go,
Vous sublime en Victor Hugo.
Il y a le « Cas 2 », bénin,
Celui des autres, le mesquin :
Point d’intérêt ! Car celui-là,
S’il est cas d’eux, n’est pas mon cas.
Il y a les « Cas 3 », iniques
Et qui vous font au loin la nique,
En particulier si leur vol
Les éloigne du Capitole !
Il y a le « Cas 4 », dont l’air
Permet de conserver le nerf !
Sans ce r-là, nous glisserions
Sur pentes lissées sans savon !
Il y a le « Cas 5 », guerrier,
Sur lequel vous pourriez parier :
Il permet d’entrer en campagne
Sans en déplacer la montagne !
Il y a le « Cas 6 », falot,
Qui porte à faux et tombe à l’eau,
Et ne m’intéresse qu’au cas
Où il se rapporte à mon cas.
Il y a le « Cas 7 », discret
Dont la clé demeure un secret
Mais où sifflote le bavard
Dont le train-train se fait avare !
Il y a le « Cas 8 »… Chapeau !
(Au sens propre, cet oripeau.)
Pour voir les reflets qu’il camoufle
Je ne retiendrai pas mon souffle.
Il y a le « Cas 9 », non dit,
Qu’on découvre comme inédit,
Qu’on donne en preuve et jette en prime,
Et qui fatalement déprime !
Il y a le « Cas 10 » enfin,
Qui me laissera sur ma faim !
Sitôt dit, je clos mon libelle
Car, après lui, je m’fais la belle !
¤¤¤
65
Trois soifs
Le responsable présente ses objectifs.
Sébastien espère étancher sa soif... de connaissance !
Vraiment ?
¤¤¤
J’avais trois soifs en découvrant l’aurore :
À midi, les aurai-je encore ?
La première, gourmande, associait au café
Un nuage de lait supposé triompher
Du creux physiologique et quasi stomacal
Qu’on supporte parfois en milieu monacal.
Elle fut négligée.
Le café réchauffé fut rude à digérer !
La deuxième, orgueilleuse, oubliait la matière
Et d’esprits éclairés attendait les lumières
Afin de compenser les creux spirituels
Qu’avaient créés, sournois, les rêves rituels.
Elle fut oubliée.
Leçon trop équivoque ne peut abreuver.
La dernière, coquine, attachait à l’esprit
L’acception que l’alcool à ce terme associe...
« Esprit de vin »... Deux mots ! Mais lequel vainc ?
Je le sais bien, par dieu et, sans être devin,
Ma soif sera comblée !
Amis, à l’apéro ! À chacun son godet.
¤¤¤
66
Le comptable parlait
Un « expert » délivre son message à des stagiaires peu enclins à l’entendre.
¤¤¤
C’était pendant l’horreur d’un lourd après-midi.
Le comptable parlait. On l’eût voué aux Parques.
On eût voulu laisser en dérive sa barque
Pour qu’elle s’allât échouer sur un îlot maudit !
Las, nous n’y pouvions rien ! Le programme l’ourdit :
Les sceaux de l’intendant frapperaient de leur marque,
Nous viendrait un diseur de nombres : cent remarques
Sérieraient, chiffreraient tant débit que crédit !
L’homme, de son pas lent, martelait son discours,
Berçant les somnolents, apportant son secours
Aux esprits peu versés à la chose comptable.
Quelques-uns, sans secours, semblaient embarrassés
Quant d’autres, sans recours, se sentaient dépassés !
Je résistai à tout, même à l’insupportable !
¤¤¤
67
Vide de savoir
L’invité est un spécialiste en communication... D’entrée, il se prend pour le Bon Dieu !
Et nous, pour des canards sauvages !(1)
¤¤¤
Il n’avait rien à dire et n’arriva à rien.
Pourtant il réussit en termes lénifiants
À bercer les benêts endormis et confiants
Qui attendaient, patients, l’énoncé du mot fin.
Il eût fallu, peut-être, apporter un couffin
Et permettre à chacun de reposer à l’aise !
L’auditoire distrait s’en fût senti benèze
À pouvoir ci, ce soir, s’amuser de ses riens.
Car il en possédait, des mots et des tournures
Qu’il embrouillait sans art, en pleine démesure !
Comme sa prestation n’éveillait point d’écho
Il l’acheva, benoît, quémandant en écot
Quelque approbation douce de sa performance !
Il fit un bide ! Hélas, crains qu’il ne recommence !
(1) « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages »
est un film français réalisé par Michel Audiard en 1968.
¤¤¤
68
Vagabondage
L’observateur s’ennuie.
Il se prend à rêver…
¤¤¤
Les premiers rayons printaniers
Invitaient au vagabondage !
Les propos que vous asseniez,
Ô, animateurs de ce stage,
Nous firent oublier Phébus
Pour nous consacrer aux rébus !
L’ennui nous confondait.
L’enthousiasme fondait.
Chacun se morfondait.
Et nous attendions derechef,
L’esprit las, qu’enfin nous vînt l’heure
D’oublier, en cette demeure,
Les propos pompeux d’heureux chefs !
L’un dessinait. Nous composions.
Les voisins faisaient un morpion.
Les flatteurs levaient leur crayon,
Implorant de prendre parole
Et de jouer leur petit rôle !
Mais n’écoutant plus qu’à demi
Heureux, béat, je m’endormis
Un instant ! L’image en fut brève
Mais je vis en merveilleux rêve :
Un animateur nouveau style
Ne me prenait plus pour débile,
Déclarait que je savais lire
Et me laissait prendre ma lyre !
¤¤¤
69
Les fines circulaires
Sébastien attend avec gourmandise la prestation d’une responsable réputée fort compétente : un exposé portant sur les bulletins officiels, décrets, circulaires et autres règlements que les cadres auront à connaître !
¤¤¤
Maîtresse incontestée de l’art herméneutique
Attentive à tenir des propos éclectiques,
Détentrice du seul savoir à délivrer,
Actrice involontaire du dies irae,
Madame, expliquez-nous, telle guide sereine
En quoi, des doux B.O., vous êtes souveraine ?
L’heure est aux vérités. Nous voulons tout savoir
Et sommes dans l’émoi ! Dites-nous sans surseoir
Toutes subtilités des fines circulaires,
Rayonnements secrets des décrets expurgés,
Organigrammes et modes épistolaires,
Avertissements sains de nos autorités,
Documents projetés de textes rescisoires !
Engrangez ces trésors en nos pauvres mémoires :
Convertis, nous serons de tout travers purgés !
¤¤¤
70
Outrecuidant
En quelques traits…
le portrait d’un animateur qui n’a probablement pas su se faire apprécier !
¤¤¤
Benoît comme chanoine, en chair bien établi,
Outrecuidant du verbe, ès phrases anobli,
Ubu lénifiant tel bon abbé en chaire,
Joyeux comme judas d’une porte cochère,
Uniformément vain, il n’engendra qu’oubli !
¤¤¤
71
Au fil de l’eau
Où l’on s’interroge sur le bien-fondé de la réunion de travail en cours…
¤¤¤
Bientôt, nous comprendrons ! Nous voici réunis,
En solidarité sur la même péniche !
Et l’on va nous montrer que le savoir se niche
Sur les eaux retrouvées que l’écluse a unies !
Las ! Quand la porte coince, on en est bien puni !
Point de consolation, pas même une niniche…
Il nous faut suivre alors en fidèles caniches
Le propos tonifiant dont on est démuni !
Pourtant, qu’il serait doux de voguer en gondole
Près de belle stagiaire au cœur un peu frivole
Et de jolie rivière ne conserver que lit !
Mais rêver est futile et semble jeu de rôle
Et la réalité n’est pas toujours si drôle…
Remontons en chaland sans qu’il y ait délit !
¤¤¤
72
Dans les bras de Morphée
Fin de la session ! Bientôt le discours de clôture.
Certains des participants sont las : l’un d’entre eux en particulier... Sébastien s’en amuse, imaginant le combat (tout intérieur !) de son collègue. Mais…
¤¤¤
Qu’on lui porte des allumettes
Pour qu’à ses paupières il mette
Un barrage à sa lassitude
Et qu’il conserve l’attitude
Du stagiaire bien valeureux
Et non du benêt langoureux
Que la métapsychologie
A plongé dans la léthargie !
Voyons... Bon sang, quelle est sa place ?
Le voici assis juste en face
Du rang pompeux des officiels…
Dont le ministre ! Juste Ciel !
Il doit tenir la tête droite
Et trouver la posture adroite
Le retenant de s’étouffer
Entre les doux bras de Morphée !
Quelle confusion, quelle honte
Si en plein discours du grand ponte
Il sombrait en quasi-coma ?
(D’autant qu’il a sur l’estomac
Force mets et autres alcools
Qui le font opiner du col,
Vers des rêves un peu coquins,
De ceux qu’on voit dans les bouquins
Spéciaux de certaines boutiques
Vitres teintées... Ombres lubriques...)
Patatras ! Des bruits alentour.
Semi-réveil ! Il se sent gourd.
Il part… Ciel, voilà qu’on l’emporte,
C’en est fait pour lui ! (Peu m’importe !)
Il ouvre les yeux (un sinistre !)
Sous le regard froid du ministre !
Piriac-sur-Mer, juin 1986
¤¤¤¤¤¤¤
La musique de l’impair
(Quand l’apprenti poète s’est épris
des plus grands…)
¤¤¤
73
La musique de l’impair
J’ai découvert Verlaine en cours de rhétorique.
J’avais quinze ans passés baignés d’alexandrins…
Ma passion pour l’impair, encor toute ludique
Titillait mon oreille en rythmes mandarins
Mais je n’osais franchir le pas fantasmatique
Qui me ferait chasser mes acquis souverains !
Le déclic vint, soudain, avec Art poétique* :
De Jadis à Naguère*, je prenais le train !
Et le jeu fascinant des vers nonasyllabes,
Scandés et chaloupés par Maître Canivet**
Me fit presque à l’instant renoncer aux sonnets !
Je n’étais que nigaud portant vide sa trabe :
J’ignorais l’étendard des odes de Ronsard
Dont mètre impair déjà était maître en son art !
26 septembre 2018
* Art poétique (1874),
13ème poème de Jadis et Naguère, de Paul Verlaine, publié en 1884.
** Pierre Canivet, sj, professeur agrégé de lettres classiques,
dont l’auteur était l’élève en « classe de rhétorique » (classe de première A prime)
¤¤¤¤¤¤¤