L
¤¤¤¤¤¤¤
Comment ?
Comment va le monde ?
Il va comme il va
La machine est lourde,
On la traînera.
Comment va la vie ?
Va comme on la pousse
Le sang se fait vieux
Le cœur s’est fait mousse.
Comment va l’amour ?
Il avait tant plu
Que la terre est morte
On n’en parle plus.
Pierre Seghers (Le temps des merveilles.)
¤¤¤¤¤¤¤
55 La Merveille
56 Les ceps brûlés
57 Seul
58 Quitter la norme
59 La fausse oronge
60 Mentors
61 La Mémoire
¤¤¤¤¤¤¤
55
La Merveille
Un quidam va, cheminant,
Foulant les prés salés vert sinople. Espérance ?
Au loin surgit le Mont, sous le soleil couchant…
Le quidam s’en approche,
C’est l’angélus !
Trois fois tinte la cloche…
Le pas soudain s’anime et n’est plus trébuchant !
Sous l’aile archangélique, effaçant peurs et transes,
Le quidam va, rayonnant.
Novembre 2013
Janvier 2018
Au Mont-Saint-Michel, les deux bâtiments qui s’élèvent au nord et font face à la mer sont depuis leur origine appelés La Merveille. Érigée à partir de 1203, entièrement en granit, la Merveille fut achevée vers 1228, en seulement 25 ans. Son architecture audacieuse comporte 3 niveaux superposés qui culminent à 35 m de hauteur.
¤¤¤¤¤¤¤
56
Les ceps brûlés
Son cœur s’est extirpé des sables de Bretagne
Où son amour naissant l’avait fait prisonnier.
S’est achevé l’été ! Le lycée n’est pas bagne.
Une bogue imprudente échappe au marronnier,
Brise sa coque au sol : un bruit sec l’accompagne.
Paul s’éveille ! Et s’enfuit le bourdon saisonnier.
Les mois en – bre, si longs qu’ils dépassent l’automne,
S’engouffrent sur l’hiver sous un ciel attristé.
Le temps des travaux courts s’installe, monotone…
Au versant d’un coteau, un homme a fagoté
Des sarments desséchés. Plus loin, un autre donne
Au feu des pieds noueux de vigne cailloutés.
Perdu dans ses pensées, Paul marche vers les braises
Et, d’un pied négligent, les agace un instant.
S’animant aussitôt, échappant à la glaise,
Les follets étincellent et portent par grand vent
Jusqu’aux sables mouvants qui lèchent la falaise
La peine et le cœur gros du jeune soupirant.
Lors, le vieux roc breton à nouveau les accueille,
Fier d’avoir à son pied l’archerot de l’été
Dont les flèches d’amour, en une quartefeuille
Demeureront enfin à jamais enchâssées.
Elles auront aussi, comme un sel qu’on recueille
L’enivrante senteur des ceps qu’on a brûlés.
Janvier 2018
¤¤¤¤¤¤¤
57
Seul
Nous ne fêterons pas ensemble nos seize ans.
Je n’irai pas demain à ton anniversaire.
Où es-tu, mon ami ?
Tu n’as pas répondu, tu n’as pas condamné.
Tu n’es pas revenu.
Quand nous étions enfants, c’était si différent…
Je t’aimais, tu m’aimais…
Nous étions « David et Laurent » !
Nous nous contions petits bonheurs et aventures
Et nos secrets à deux étaient d’amitié pure.
Sur les sentiers nouveaux qui sont ceux d’aujourd’hui,
Tous ces moments chéris partagés dans l’enfance
Transcendent nos humeurs, exaltent nos passions !
Se croisent nos regards, s’embrassent nos épaules,
Se confondent parfois nos souffles…
Je l’ai craint tout d’abord,
L’ai ressenti, au fil des jours, toujours plus fort.
Je l’ai compris… Je t’aime !
Si souvent se croisent nos regards…
Depuis des jours, des mois, peut-être des années
Tu es entré autrement dans mon cœur…
Le sais-tu ?
Ensemble hier, comme souvent,
Nous avons couru. Longtemps.
Le banc. Le puits.
Cœurs battants.
Torses proches.
Bras ballants.
Regards.
Une accolade, un câlin fraternel.
J’ai osé un baiser.
Ton visage un instant s’est figé sans sourire.
Et tu n’as pas voulu cueillir les quelques mots
Tendres de mon aveu sourdement murmuré.
Et tu t’es écarté.
Deux larmes ont roulé sur l’aile de ton nez.
Tu les as effacées.
Et tu as soupiré et reniflé ta peine…
Tu as cherché mes mains, les a serrées très fort,
Et d’une voix rauque inconnue
Tu as simplement balbutié
« Mon père me tuerait… du moins me renierait
Et maman en mourrait ».
Tu as abandonné la margelle du puits
Qui nous servait de banc…
Et tu as pris la Grande Allée…
Sans te retourner.
Couvraient-ils un émoi, un pleur, une prière,
Ces quelques mots lâchés ?
Je l’entends comme en scie, ton soupir sourd rentré.
Ton refus qui n’était que d’un simple baiser
Masquait une autre peur, l’orage de ton père.
Ô mon ami…
C’était hier,
J’allais juste te dire après ces instants-là,
J’allais te dire… que ma mère,
M’entend souvent parler de toi
Et sait tout depuis si longtemps…
Où es-tu, mon ami ? Où es-tu mon amour ?
Tu n’as pas répondu, tu n’as pas condamné.
Tu n’es pas revenu.
Seul.
Je me sens si seul.
Je n'irai pas demain à ton anniversaire.
Nous ne fêterons pas ensemble nos seize ans.
Janvier 2018
¤¤¤¤¤¤¤
58
Quitter la norme
Quitter la norme énorme et sèche,
Fouler le sentier vierge de la création,
Vagabonder au gré de l’imagination,
Respirer le bonheur !
Sublimer la peine en amour,
Le désespoir en délivrance…
Briser le miroir du confort,
Piétiner la quiétude du bien accompli,
Rogner les certitudes des gens établis,
Demeurer simple et fort !
Sublimer la peine en amour,
La solitude en espérance…
Hélas, sont vains ces vœux de fou !
Le fou n’a plus sa place :
La folie dérange, incommode,
Bouleverse les codes,
Les canons et les modes…
Ne serait-il fou que d’être autre,
Apôtre saoul d’amour sur les sentiers perdus,
Équilibriste seul, sur la corde tendue
Aux extrémités de laquelle
Tenaillent et cisaillent
Les tireurs de ficelle,
Les faiseurs de misère,
Les fomenteurs de guerre
Et les spéculateurs de mort ?
Gardons-nous de briser le subtil équilibre…
Si le fil se rompait,
Si s’effaçait le dernier port,
Si s’éloignait le dernier corridor,
Si s’effondrait le dernier pont jeté
Entre ciel et enfer au-dessus des abîmes,
Qui sait ce qu’il en adviendrait ?
Sans doute à tout jamais s’envolerait l’amour
Et fureur et folie atteindraient à leur tour
Les tireurs de ficelle !
Lors, ceux-ci, tombant de leur échelle,
Mêlant lames et traits,
Par malemort, dans leur folie
Produiraient l’ultime étincelle
Qui tout à néant réduirait !
Piriac-sur-Mer, juin 1986
Saint-Pierre-Quiberon, juillet 2018
¤¤¤¤¤¤¤
59
La fausse oronge
Orphée le citharède... après lui tant de bardes...
Et même les pionniers de l’illustre Pléiade*
Ont trop souvent chanté la guerre et ses mensonges.
Experts dans l’art des mots et de ses artifices
Ils ont parfois semé aux lisières des lices,
Par folle vanité, l’amère fausse oronge**.
* La Pléiade est un groupe de sept poètes français du xvie siècle créé par Pierre de Ronsard en 1553 autour duquel s’étaient réunis, Joachim du Bellay, Jacques Peletier du Mans, Rémy Belleau, Antoine de Baïf, Pontus de Tyard et Étienne Jodelle.
** La fausse oronge (Amanita muscaria), champignon dangereux, prétendument maléfique, voire diabolique, est parfois surnommée le « champignon de fou ».
¤¤¤¤¤¤¤
60
Mentors
Ils m’ont donné la soif d’apprendre,
Celle de comprendre et d’aimer.
Et les voici à tout jamais
Au doux panthéon de mon cœur.
Et quand le balancier oscille
Entre le libre arbitre et la nécessité,
Je marche grâce à eux sur mon fil.
Ce fil est sûr et droit, tendu vers l’horizon.
Cet horizon est l’Espérance.
Est-il Mirage ? Est-il Raison ?
Septembre 2018
¤¤¤¤¤¤¤
61
La Mémoire
Un an qui passe...
C’est comme un nuage translucide…
Teintes pastel, formes fuyantes,
Il s’effiloche
Pour se heurter au fil du temps.
Et comme un kaléidoscope qui se brise,
Il laisse des images mélangées.
Quelques-unes seulement rejoignent la Mémoire.
Déjà s’engage une étape nouvelle…
Au crépuscule,
Quand viendra le moment d’avoir la Connaissance,
Nous rassemblerons la Tribu.
Alors,
En embrassant des lustres en arrière,
Nous, les Anciens,
Lui rappellerons simplement :
« Ensemble
Nous avons découvert des forêts ignorées,
Jalonné leurs sentiers,
Chassé en leurs vallons paisibles. »
« Ensemble
Nous avons dépassé des cols, gravi des monts,
Escarpé leurs parois,
Cultivé leurs versants fertiles. »
« Ensemble
Nous avons atteint la mer, rallié ses îles,
Essuyé ses tempêtes,
Pêché dans ses eaux généreuses. »
« Ensemble
Nous avons connu revers et jours de chance,
Avec toujours au cœur
La vie, la force et l’espérance. »
« S’il est ténu,
Votre chemin vous appartient, laissez-le naître !
Prenez en main, votre destin, soyez-en maître. »
« Au jour venu,
Avec le temps filant son immuable voile,
Vers un seuil accueillant nous guidera l’Étoile… »
« Le cœur à nu,
Ne pleurez pas, ne doutez pas : il était l’heure.
Nous serons là, auprès de vous, mânes veilleurs. »
« La Mémoire !
Ensemble, nous l’avons attisée et nourrie,
L’imaginant inextinguible… »
« À votre tour, jour après jour,
Ravivez-la, renforcez-la,
Car vous devrez la transmettre !
Inextinguible ? Elle ne l’est pas. »
Saint-Pierre-Quiberon, juillet 2018
Le Château-d’Olonne, septembre 2018
¤¤¤¤¤¤¤